Bleu presque transparent, par Thomas Bernard
Communique de presse
Bleu presque transparent, Galerie Cortex Athletico, Bordeaux, France, 2004
Descendante d'une famille vietnamienne "diluée", Sandrine Llouquet paraît être à la recherche de ce qui constitue profondément son être. Enquête complexe, indices trafiqués, lieux communs, propagande, la navigation dans ces archives impose leur déconstruction, leur soumission au crible de la critique pour une analyse au plus juste des images qui les constituent. De cette opération naissent de nouveaux agencements hybrides, simples et percutants, comme ce dessin d'homme, synthèse de la petite fille brûlée au napalm fuyant son village et du suspect viêt minh abattu sommairement d'une balle dans la tempe, deux icônes du photojournalisme. La compréhension des signes permet à l'artiste de digérer l'histoire chaotique de ce pays, épicentre des nombreux conflits de la péninsule indochinoise, tour en maintenant un point de vue singulier. L'année de formation qu'elle effectue à Hô-Chi-Minh ville en 1997-1998, quelques années après la levée de l'embargo américain, aiguise l'examen dans cette double vitesse : une analyse du "je", dans une compréhension du lieu. Car l'écart entre une histoire et l'Histoire est le terrain d'errance de Sandrine Llouquet, chronique retracée sur papier, compilation dessinée simplement, avec humilité, sur des supports ordinaires et banals. Discrètement, Sandrine nous parle d'elle et de chez elle, à la fois proche et immensément lointaine. Elle y dévoile son histoire, ses obsessions, ses peurs parfois même ses frayeurs, ses envies, ses passions. L'image est toujours construite avec modestie, légèreté, quand bien même le sujet est violent voire cruel ou lorsque simplement le titre glace...
Il y a pourtant une vraie rêverie, en témoignent les apparitions du dragon, les arabesques. On devine une forme d'apaisement dans l'exécution des volutes, une absence presque, comme si Sandrine Llouquet laissait libre cours à ses envies et ses débordements, ne les retenait plus. Pourtant ces flâneries demeurent contenues et canalisées au plus juste, tout comme le corps de l'artiste est maîtrisé et policé. Pratique de la boxe, dessins d'anatomies meurtries, photographies des tibias commotionnés, contrition du corps : l'esprit ne lâche rien, tout au plus s'autorise-t-il le dessin : fenêtre prudente et fragile dans l'éventail des pratiques artistiques occidentales. La facture est relativement académique, les outils conformes. pour autant existent dans ces suites des éléments "déviants". Le dessin fait place qu gribouillage, à la rature, au grossier. Impression de sortie de piste. Ras-le-bol. Ainsi existe-t-il une réelle tension au coeur même de cette histoire singulière, dont les journaux de Sandrine Llouquet rendent compte avec constance. Cette tension a deux soupapes, l'une est "mignonne mais pas suffisante", l'autre est "caca crade". L'image retenue pour figurer le carton de l'exposition actuelle est la parfaite illustration de cette paradoxale violence exquise.
Par ailleurs, l’accumulation des dessins, au-delà de la simple compilation, apporte une dimension temporelle. Les dessins égrènent l’existence de Sandrine Llouquet rapprochant cette activité à celle du diariste. Cette proposition temporelle se retrouve lorsqu’elle invite les gens à venir passer une nuit dans un cabinet de dessin, les laissant libres de piocher à loisir dans les différents ensembles de sa production. Le geste tient de l’offrande et là encore la proposition reste ouverte. Libre au spectateur de l’accepter et d’en décider le format, de choisir sa propre navigation, d’être laborieux ou oisif, méthodique ou désordonné. Après le « in bed with… », l’errance du « in Sandrine’s room ». Le fait de laisser le public seul dans le boudoir est-il à rattacher à une « impression de soi » ? Histoire globale émaillée d’épisodes personnels. Deux vitesses, deux niveaux…
Thomas Bernard